Patrick Williams #1 / Gypsy

Patrick Williams (1947-2021)
par Alban Bensa
4 février 2021



Patrick Williams
à la brasserie du Centre Pompidou-Metz
le 16 juillet 2015 au moment de l’exposition Leiris & Co : Picasso, Masson, Miró, Giacometti, Lam, Bacon…
Photographie : Jean Jamin



( Patrick Williams anthropologue-écrivain, passionné de Django et de l’univers tsigane (cf. Conférence 2002), est décédé le 15 janvier 2021, il avait 73 ans, devenu une sorte de patriarche-expérimentateur d’un univers complètement inconnu de lui au départ de sa vie. )


Patrick Williams, le meilleur spécialiste à ce jour des communautés Roms et Manouches de France, est décédé à Montfermeil, dans le neuf-trois, le 15 janvier dernier. Il nous aura gratifiés d’une œuvre essentielle, en se situant à l’intérieur de ces mondes, à propos desquels les non-tsiganes que nous sommes ne cessons de fantasmer. Au rejet d’État (parfois jusqu’à l’extermination, avec le IIIe Reich) comme à la compassion misérabiliste, cet ethnologue doté d’une plume d’écrivain a opposé une description ethnographique avant tout soucieuse de restituer la cohérence de ces Tsiganes et leur énergie à exister comme ils l’entendent.

Patrick Williams savait d’autant mieux de qui il écrivait qu’il avait épousé une Rom Kalderas (forgerons, étameurs) en 1971 et intégré pleinement l’univers linguistique et social de sa famille d’accueil, installée dans l’est parisien au début du XIXe siècle. Depuis, il vécut en Rom et avec les Roms, au point de me dire un jour : « Je suis content de te revoir pour parler un peu le français ; voici plus d’un mois que je ne me suis pas exprimé dans la langue des gadjé ».

J’ai rencontré Patrick en 1966, dans l’équipe de rugby de la faculté des lettres et sciences humaines de Paris (Sorbonne), puis au Paris Université Club (P.U.C.). Il y jouait pilier gauche, moi seconde ligne, le poussant dans la mêlée, et lui plaisantant à ce sujet : « Tu n’as pas cessé ensuite de me pousser ».

En effet : j’étudiais la sociologie et l’ethnologie, et lui, inscrit en littérature, s’intéressait à Blaise Cendrars tout en entretenant des liens profonds avec la population nomade de Gouzon, dans la Creuse (1 580 habitants), où il était né et où vivaient ses parents. Fils unique, petit-fils d’une Creusoise qui tenait le grand café sur la place du village, il y a fréquenté, dès l’adolescence, des Manouches installés en périphérie du bourg dans leurs roulottes à cheval. Ces vanniers, collecteurs d’escargots et de champignons, que les paysans n’aimaient guère, vivaient dans ces écarts champêtres, festoyaient, chantaient, jouaient de la musique. Patrick participait à ces agapes chaleureuses, tant et si bien qu’il apprit la langue des Manouches en prenant peu à peu une place parmi ces voyageurs ruraux arrivés d’Inde en Europe il y a huit siècles. Mais, les vacances ou le week-end passés, il retournait à Paris, à la fac et dans sa chambrette rue de la Tour (XVIe arrondissement), où il écoutait, sur son tourne-disque et à la radio, du jazz. Beaucoup, beaucoup de jazz, énormément même ; au point d’en devenir plus tard un expert reconnu.

Patrick Williams s’inscrivit en langue tsigane à l’Institut des langues orientales tandis que, de mon côté, je commençais à étudier une langue kanak avec des chercheurs du CNRS. Devenu assistant en ethnologie en 1971, je partis en Nouvelle-Calédonie en 1973, laissant la maison que j’occupais alors dans l’Essonne à Patrick et à sa famille d’adoption. Ils y restèrent sept mois, durant lesquels il entreprit de lire toute ma bibliothèque d’anthropologue, reclassée pour l’occasion par ordre alphabétique. À mon retour, il décida de s’inscrire en thèse d’ethnologie à l’INALCO. Sujet de l’étude et titre de sa thèse, publiée en 1984 : Mariage tsigane. Une cérémonie de fiançailles chez les Rom de Paris. C’est-à-dire ce qu’il venait de vivre. Alternant chapitres théoriques et descriptifs, ce travail, mûri par sa participation à des séminaires (en particulier celui de Daniel de Coppet et Jean-Paul Latouche à Paris VII), eut dans les études tsiganes un retentissement considérable et permit finalement à Patrick d’entrer au CNRS.

a Suivre .......




Patrick Williams (1947-2021)
by Alban Bensa
February 4, 2021

( Patrick Williams, anthropologist-writer, passionate about Django and the Gypsy universe (cf. 2002 Conference), died on January 15, 2021, he was 73 years old, having become a kind of patriarch-experimenter of a universe completely unknown to him at the beginning of his life.)

Patrick Williams, the best specialist to date on the Roma and Manouche communities in France, died in Montfermeil, in the nine-three, on January 15th. He will have blessed us with an essential work, by situating himself within these worlds, about which the non-Gypsies that we are never cease to fantasize. To State rejection (sometimes up to extermination, with the Third Reich) as well as to miserabilistic compassion, this ethnologist endowed with the pen of a writer opposed an ethnographic description above all concerned with restoring the coherence of these Gypsies and their energy to exist as they see fit.

Patrick Williams knew all the better about whom he was writing because he had married a Rom Kalderas (blacksmiths, tinsmiths) in 1971 and fully integrated the linguistic and social universe of his host family, settled in eastern Paris at the beginning of the 19th century. Since then, he has lived in Roma and with the Roma, to the point of saying to me one day: “I am happy to see you again to speak a little French; I have not spoken in the language of the gadjé for more than a month”.

I met Patrick in 1966, in the rugby team of the Faculty of Letters and Human Sciences of Paris (Sorbonne), then at the Paris University Club (P.U.C.). He played there left pillar, me second line, pushing him into the fray, and joking to him about it: “You didn’t stop pushing me afterwards”.

Indeed: I was studying sociology and ethnology, and he, enrolled in literature, was interested in Blaise Cendrars while maintaining deep ties with the nomadic population of Gouzon, in Creuse (1,580 inhabitants), where he was born and where his parents lived. Only son, grandson of a Creusoise who ran the big café on the village square, he frequented, from adolescence, Manouches settled on the outskirts of the town in their horse-drawn caravans. These basket weavers, collectors of snails and mushrooms, whom the peasants did not like, lived in these rural gaps, feasting, singing, playing music. Patrick took part in these warm feasts, so much so that he learned the language of the Manouches, gradually taking a place among these rural travelers who arrived in Europe from India eight centuries ago. But, the holidays or the weekend spent, he returned to Paris, to the university and in his small room rue de la Tour (XVIth arrondissement), where he listened, on his record player and on the radio, to jazz. Lots and lots of jazz, a lot even; to the point of later becoming a recognized expert.

Patrick Williams enrolled in the Gypsy language at the Institute of Oriental Languages ​​while, for my part, I began to study a Kanak language with CNRS researchers. Having become an ethnology assistant in 1971, I left for New Caledonia in 1973, leaving the house I then occupied in Essonne to Patrick and his adopted family. They stayed there for seven months, during which he began to read my entire anthropological library, reclassified for the occasion in alphabetical order. On my return, he decided to enroll in an ethnology thesis at INALCO. Subject of study and title of his thesis, published in 1984: Gypsy marriage. An engagement ceremony among the Roma of Paris. That is to say, what he had just experienced. Alternating theoretical and descriptive chapters, this work, matured by his participation in seminars (in particular that of Daniel de Coppet and Jean-Paul Latouche in Paris VII), had a considerable impact in Gypsy studies and finally allowed Patrick to enter at CNRS.



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